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Sabin, gardien du démon de la Crainte, se tenait dans les catacombes d’une pyramide. Haletant, en sueur, les mains souillées du sang de ses ennemis, le corps couvert d’entailles et d’ecchymoses, il contemplait avec satisfaction le résultat de la dernière bataille qu’il venait de mener avec ses compagnons – un véritable carnage. Ils étaient immortels et puissants. On les appelait les Seigneurs de l’Ombre.

Les lueurs vacillantes des flammes orangées projetaient leurs ombres sur les murs de pierre éclaboussés de sang. Les coulées rouge vif qui descendaient jusqu’au sol transformaient le sable d’un brun chaud en une boue épaisse et noirâtre. L’étroit couloir qu’ils avaient emprunté quelques instants plus tôt était maintenant jonché de corps, saturé de l’odeur froide et métallique de la mort.

Ils avaient tout de même laissé en vie neuf de leurs ennemis, dans l’intention de les interroger. Ils les avaient regroupés et ligotés. La plupart tremblaient de peur, mais quelques-uns se tenaient bien droit, la tête haute, avec un regard fier et luisant de haine qui exprimait clairement le refus de se soumettre.

Sabin ne put s’empêcher de saluer mentalement leur courage.

Mais ce courage allait leur coûter la vie. Les hommes courageux ne parlaient pas. Et Sabin voulait qu’ils parlent. Muets, ils ne lui seraient d’aucune utilité.

Sabin était un guerrier qui ne reculait devant rien pour gagner une bataille. Il était prêt à tuer, à torturer – et aussi, quand il le fallait, à user de son charme. Il était entièrement dévoué à sa cause et exigeait la même abnégation de ceux qui se trouvaient sous ses ordres. Contre les chasseurs, ces mortels qui rendaient les Seigneurs de l’Ombre responsables de tous les maux de la terre, seule la victoire comptait. Ils devaient gagner la guerre pour jouir enfin d’une paix bien méritée – paix à laquelle Sabin aspirait pour lui, autant que pour ses compagnons.

Des halètements précipités et sifflants résonnaient aux oreilles de Sabin. Le sien, celui de ses compagnons, ceux de ses ennemis. Ils s’étaient battus contre les chasseurs avec l’énergie de la haine et du désespoir. Le « bien » avait affronté le « mal » et le « mal » en était sorti vainqueur. Du moins du point de vue des chasseurs. Parce que Sabin et ses compagnons avaient un tout autre avis sur la question.

Ils ne niaient pas avoir commis autrefois une faute en ouvrant Démoniaque, la boîte de Pandore, et en libérant les démons qu’elle retenait prisonniers. Mais ils avaient payé le prix fort pour cette faute : les dieux les avaient chassés de l’Olympe, tout en les condamnant à devenir les gardiens de terribles démons. Ils ne niaient pas non plus avoir cédé, au début, à la moitié sombre de leur être, détruisant et tuant avec une sauvagerie extrême et sans le moindre remords. Mais c’était autrefois. Il y avait bien longtemps. Depuis, les Seigneurs de l’Ombre avaient appris à maîtriser leurs démons. Ils étaient redevenus des guerriers.

Ils ne méritaient pas la mort. Ils avaient un cœur et une âme. Ils souffraient quand l’un d’eux était blessé, ils aidaient généreusement les nécessiteux, ils s’intéressaient au monde des mortels, ils tombaient parfois amoureux.

Malheureusement, rien de tout cela ne comptait pour les chasseurs. Ces fanatiques rêvaient d’une terre qui serait un havre de paix, de sérénité et de perfection, d’une terre sans les Seigneurs de l’Ombre, qu’ils voyaient comme l’origine et la cause de tous les péchés. Sabin se demandait parfois s’ils croyaient réellement à cette absurdité, ou s’ils cherchaient des boucs émissaires. Mais au fond, la réponse importait peu parce qu’elle n’aurait rien changé à la nécessité de les éliminer. Le rêve de Sabin, c’était un monde sans chasseurs. S’il voulait vivre en paix, il devait mener contre eux une guerre sans merci.

Cette guerre l’avait contraint récemment à quitter leur vieux château de Budapest pour venir fouiller les pyramides d’Égypte avec une partie de ses compagnons. Ils cherchaient un objet de pouvoir qui devait les aider à retrouver Démoniaque – cette boîte que les chasseurs projetaient d’utiliser pour leur destruction.

Et aujourd’hui, après trois semaines de fouilles infructueuses, ils allaient peut-être toucher au but.

— Amun, appela Sabin.

Amun, gardien de Secret, s’était réfugié dans le coin le plus sombre et le plus reculé de la salle.

Comme toujours, la noire silhouette d’Amun se fondait dans l’ombre. Sabin lui désigna les prisonniers d’un geste triste et désabusé.

— Tu sais ce qu’il te reste à faire, lui dit-il.

Amun acquiesça d’un air sinistre. Puis il avança résolument en direction des prisonniers, sans un mot, comme s’il craignait, en ouvrant la bouche, de laisser échapper les noirs secrets qu’il avait accumulés au cours des siècles.

En voyant approcher ce guerrier à la stature impressionnante, les chasseurs reculèrent comme un seul homme.

Amun était grand, doté d’une musculature sèche, mais puissante et bien dessinée. Sa démarche décidée de soldat se doublait d’une grâce de félin. Il se dégageait de lui la sauvagerie tranquille d’un prédateur habitué à transporter ses proies dans sa gueule.

Arrivé devant les chasseurs, il s’arrêta et balaya lentement le groupe du regard. Au bout de quelques minutes, il parut se décider et, se penchant en avant, toujours avec ce calme plein de violence contenue, il referma sa main sur la gorge de celui qu’il avait choisi. Puis il souleva lentement l’homme et plaça son visage à la hauteur du sien. Les jambes du malheureux se mirent à battre l’air, ses mains agrippèrent les poignets d’Amun, et il devint tout pâle.

— Lâche-le, répugnant démon ! hurla l’un des chasseurs en attrapant la taille de son compagnon. N’as-tu pas tué assez d’innocents ? Détruit suffisamment de vies ?

Amun ne réagit pas. Le silence se fit.

— C’est un homme bon ! cria un autre. Il ne mérite pas de mourir. Et surtout pas de la main d’un monstre tel que toi !

Gideon, gardien de Tromperie, un guerrier aux cheveux bleus et aux yeux soulignés de khôl, se précipita auprès d’Amun pour repousser les récalcitrants.

— Si vous osez encore le toucher, je vous couvre de baisers, dit-il d’un ton menaçant, tout en exhibant sous leur nez deux couteaux dentelés encore rouge de sang.

Dans son langage, « couvrir de baisers » signifiait larder de coups de couteaux. Ou bien trancher la gorge… Sabin se perdait un peu dans les codes compliqués du langage de Gideon.

Quelques minutes s’écoulèrent de nouveau dans le silence. Les chasseurs ne protestaient plus : ils tentaient probablement de décrypter le message de Gideon. Puis, brusquement, l’homme que tenait Amun se raidit. Amun ouvrit la main et le laissa retomber au sol.

Amun demeura immobile un long moment durant lequel personne n’osa intervenir, pas même les chasseurs qui se tassaient maintenant les uns contre les autres comme un troupeau apeuré. Ils ne se préoccupaient plus de leur compagnon. De toute façon – mais ils l’ignoraient –, il était déjà trop tard pour lui. Amun lui avait volé ses secrets et il n’était plus qu’une coquille vide.

Amun se détourna lentement du groupe. Il paraissait encore plus sombre que tout à l’heure, et Sabin comprit en croisant son regard que la voix du chasseur dont il venait de sonder l’esprit gémirait dans son crâne pour l’éternité. Un fardeau de plus pour le pauvre Amun. Et peut-être un de trop. Mais Amun se reprit et battit des paupières, tout en avançant de son pas de félin jusqu’à l’un des murs. Sabin le suivit des yeux, avec, sur le visage, une expression indéchiffrable.

« Je ne dois pas me sentir coupable. Nous n’avons pas le choix. »

Amun s’était maintenant arrêté devant un mur de pierres grossièrement taillées, empilées les unes sur les autres. Il posa la main droite sur la septième pierre en partant du bas, et la gauche cinq rangées plus haut. Puis il fit pivoter ses deux mains l’une vers l’autre.

Les pierres pivotèrent avec lui.

Sabin observa la manœuvre avec un respect mêlé d’admiration. Il ne cessait de s’émerveiller de la capacité d’Amun à récolter tant d’informations en un laps de temps si court.

Une fois les pierres placées dans leur nouvelle position, une fissure apparut en leur centre et se rejoignit pour former une brèche qui délimitait un pan de mur, lequel recula de quelques centimètres, puis coulissa lentement pour dégager une ouverture.

Une bouffée d’air frais balaya les catacombes, et les torches vacillèrent en crachotant des étincelles.

Le mur continuait à s’ouvrir, mais avec une lenteur exaspérante. Et Sabin n’était pas patient.

— Des chasseurs nous attendent de l’autre côté ? demanda-t-il tout en sortant son Sig Sauer de sa ceinture.

Il ne lui restait plus que trois balles, et il s’empressa de recharger.

Amun acquiesça et montra sept doigts avant d’aller se placer devant l’ouverture qui n’avait pas fini de s’élargir.

Sept chasseurs. Et eux étaient onze, dix en excluant Amun qui ne pouvait pas combattre tout de suite, avec cette nouvelle voix dans son crâne à laquelle il allait devoir s’habituer. Mais dix contre sept, ça suffisait largement. Les pauvres chasseurs n’avaient pas une chance.

— Ils savent que nous sommes là ? demanda de nouveau Sabin.

La tête brune d’Amun fit signe que non.

Sabin avait déjà remarqué l’absence de caméras de surveillance. Excellent.

— Sept chasseurs, ça va être un jeu d’enfants, confirma Lucien, gardien de la Mort, tout en s’affalant contre un mur, à l’autre bout de la salle.

Il était pâle. Ses yeux – le bleu et le marron – brillaient d’un éclat étrange.

— Allez-y sans moi, soupira-t-il. Je ne vais pas tarder à être convoqué pour escorter les âmes de ceux que nous avons tués.

En tant que gardien de la Mort, Lucien avait pour tâche de conduire les âmes des défunts jusqu’à leur dernière demeure.

— Ensuite, je transférerai les prisonniers dans le donjon de notre château de Budapest.

Grâce au pouvoir de son démon, Lucien était capable de se dématérialiser pour voyager dans le monde spirituel et de se transporter d’un point à un autre en un battement de cils. Sabin le regarda en fronçant les sourcils. Les cicatrices qui le défiguraient paraissaient plus prononcées que de coutume, il avait le nez déplacé, une balle lui avait transpercé l’épaule, une autre le ventre, et, à en juger par la tache écarlate qui s’élargissait dans le bas de son dos, on lui en avait probablement logé une dans la fesse.

Il ne pourrait pas voyager dans cet état. Seul son esprit se déplacerait. C’était un peu risqué.

— Ça va aller ? s’inquiéta Sabin.

Lucien eut un sourire désabusé.

— Je survivrai, ne t’en fais pas. Mais je crois que je vais presque le regretter. Il me semble que j’ai quelques organes vitaux en bouillie.

Sabin en était déjà passé par là. Il savait ce qu’il en coûtait de régénérer un organe vital. La souffrance était terrible.

— Tu n’as pas un membre à faire repousser, c’est déjà ça, murmura-t-il pour l’encourager.

Il s’interrompit en apercevant du coin de l’œil Amun qui tentait d’attirer son attention en gesticulant.

— Les chasseurs n’ont pas installé de caméras de surveillance et se trouvent derrière des murs qui ne laissent filtrer aucun bruit, traduisit Sabin pour le reste du groupe. Ils ne se doutent pas de notre arrivée, et nous allons donc bénéficier de l’effet de surprise.

— Dans ce cas, vous n’avez pas besoin de moi, je reste près de Lucien, proposa Reyes en se laissant glisser à terre, lui aussi.

Reyes était le gardien du démon de la Douleur, et la souffrance physique lui était nécessaire. Ses blessures lui procuraient du plaisir, mais il lui fallait tout de même un temps pour récupérer. L’une de ses joues était tellement enflée qu’elle devait envahir son champ de vision, et Sabin comprit que cela le gênerait pour combattre.

— Et il faut bien que quelqu’un se charge de surveiller les prisonniers pendant que Lucien s’absentera pour transporter les âmes, ajouta Reyes.

Avec la défection de Reyes, cela ne faisait plus que huit Seigneurs de l’Ombre contre sept chasseurs, nombre qui suffisait encore amplement à infliger à ces derniers une cuisante défaite.

De plus, Reyes ne ferait pas que surveiller les prisonniers. Il protégerait le corps de Lucien qui allait rester ici, derrière lui, sans défense.

— Vous êtes dans un sale état, murmura-t-il. Vos femelles vont me faire la peau.

Lucien et Reyes étaient récemment tombés amoureux, et leurs femelles avaient fait jurer à Sabin de veiller sur eux. Il eut un soupir résigné. Il savait déjà ce qui se passerait à leur retour.

Danika allait se précipiter vers Reyes pour le cajoler, et à lui, Sabin, elle jetterait un regard méprisant qui le ferait se sentir plus sale que la boue noirâtre de sang qui collait en ce moment aux semelles de ses bottes. Quant à Anya, la femme de Lucien, déesse de l’Anarchie… Elle commencerait par lui loger trois balles dans le corps car elle était une adepte de la loi du talion ; ensuite, elle s’occuperait de réconforter Lucien.

Mais ils n’étaient pas encore rentrés, aussi Sabin décida-t-il de ne plus penser aux représailles qui l’attendaient au château.

Il passa en revue le reste de la troupe. Maddox, gardien de la Passion, était le plus féroce d’entre eux. Il était couvert de sang et haletait encore, mais il avait déjà rejoint Amun devant la brèche ouverte dans le mur. Il était prêt, comme toujours.

Comprenant que le moment était venu de passer à l’action, les autres réagirent à leur tour.

Cameo, l’unique femme de leur groupe de guerriers, s’avança en premier. Cameo était gardienne de Misère, et compensait ce qui lui manquait en taille par une redoutable férocité. Elle portait en elle toute la misère du monde, et le ton de sa voix remplissait les humains d’un désespoir sans fond – ce qui faisait d’elle une arme redoutable. Un chasseur lui avait lacéré le cou, y laissant trois profonds sillons, mais elle était déjà en train de nettoyer le sang qui souillait la lame de sa machette, tout en rejoignant Amun et Maddox d’un pas décidé.

Paris, gardien de Luxure, lui emboîta le pas. Paris avait été autrefois le plus joyeux d’eux tous, mais depuis quelque temps, il paraissait inquiet et agité. Sabin ne comprenait pas les raisons de ce changement, qui n’entamait d’ailleurs en rien sa fureur de combattant et semblait au contraire la décupler. Jamais Paris ne s’était jeté sur les chasseurs avec autant de haine, vibrant de violence et d’énergie, grognant et ahanant de haine. Il avait été atteint à la jambe, comme en témoignaient les deux trous béants au niveau de sa cuisse, mais il ne songeait pas à déclarer forfait.

Derrière lui vint se placer Aeron, gardien de Colère. Les dieux l’avaient récemment libéré d’une malédiction qui l’avait assoiffé de sang, au point qu’il avait tenté de s’en prendre à ses compagnons. Il s’était battu aujourd’hui avec une telle hargne, taillant en pièces et lacérant tout ce qui passait à sa portée, que Sabin se demanda s’il était totalement délivré.

Il n’aurait pas voulu être obligé de rappeler Legion, le petit démon femelle qu’il avait envoyé en enfer espionner pour leur compte. Legion s’était prise d’affection pour Aeron, et elle était la seule à pouvoir le calmer quand il se déchaînait.

Aeron envoya son poing dans la tempe d’un des chasseurs, qui s’écroula, inconscient.

Sabin lui jeta un regard soupçonneux.

— Qu’est-ce qui t’a pris ?

— Il allait nous attaquer, rétorqua Aeron d’un ton mauvais.

Sabin n’en crut pas un mot. Pas plus, d’ailleurs, que les autres. Mais Paris en profita pour fondre sur les chasseurs, comme s’il était brusquement libéré d’un lien invisible. Il les assomma méthodiquement, les uns après les autres, jusqu’à ce qu’il n’en reste plus un seul debout.

— À présent, ils seront aussi calmes qu’Amun, commenta-t-il d’une voix rauque.

Sabin se contenta de soupirer, tout en se tournant vers Strider, gardien de la Guerre. Strider ne supportait pas la défaite, qui le faisait souffrir, moralement et physiquement. Il s’arrangeait donc pour sortir vainqueur de tous les affrontements. En ce moment, il était occupé à extraire une balle de son flanc, sans doute pour se montrer plus offensif au cours du combat qui se préparait.

Puis ce fut Kane, gardien du Désastre, qui avança d’un pas résolu, mais courbé en deux pour se protéger de la pluie de cailloux que le plafond libérait sur son passage en dégageant un nuage de poussière.

— Euh… Kane…, suggéra Sabin d’un ton doucereux. Pourquoi ne resterais-tu pas ici pour aider Reyes à surveiller les prisonniers ?

Personne ne fut dupe de cette piètre excuse, pas plus Kane que les autres. Kane ne cessait de provoquer des catastrophes, et Sabin préférait se passer de lui.

Il y eut un lourd silence, uniquement troublé par le grincement du mur de pierre qui continuait à coulisser en raclant le sol sablonneux. Puis Kane acquiesça d’un bref hochement de tête. Il détestait se sentir mis de côté et Sabin ne prenait aucun plaisir à l’évincer, mais en tant que chef, il devait prendre les décisions qui s’imposaient.

Maintenant que Kane était exclu, ils se retrouvaient à sept contre sept. Mais sept chasseurs n’avaient pas une chance contre sept guerriers immortels.

— Quelqu’un d’autre veut rester en arrière ? demanda Sabin.

Ils répondirent « Non » avec un bel ensemble. Leurs voix mêlées exprimaient tant de ferveur et de sincérité que Sabin en eut chaud au cœur.

La bataille qui se préparait était cruciale, et ils le savaient tous. Derrière ce mur, ils trouveraient peut-être l’un des objets de pouvoir qui leur manquait. Et si c’était le cas, ils devaient absolument le récupérer pour retrouver la boîte de Pandore avant les chasseurs qui la convoitaient aussi et projetaient d’y renvoyer leurs démons – ce qui les aurait privés de la moitié de leur être et voués à une mort certaine.

La bataille d’aujourd’hui n’inquiétait pas Sabin, mais il était moins optimiste quant à la victoire finale. Les chasseurs avaient pour chef le pire ennemi des Seigneurs de l’Ombre, Galen, un guerrier immortel comme eux, et comme eux possédé d’un démon, celui de l’Espoir. Galen se faisait passer pour un ange auprès des chasseurs. Il avait réussi à les fanatiser et leur fournissait des informations que de simples mortels n’auraient jamais pu se procurer.

Le bloc de pierre avait cessé de coulisser. Amun passa la tête par l’ouverture et fit signe que la voie était libre.

— On y va, ou bien on attend qu’ils nous tombent dessus ? grommela Aeron. Je suis prêt.

— Ta réticence et ta peur ne m’impressionnent pas le moins du monde, commenta Gideon.

Sabin songea qu’il était temps de prendre les choses en main. Mais quelle était la meilleure stratégie ? Autrefois, il se serait jeté à corps perdu dans le combat, sans réfléchir, avec pour seule intention de tuer. Mais les rangs ennemis ne cessaient de grossir. La détermination et la haine des chasseurs ne cessaient d’enfler. Le moment était venu de changer de tactique. Sabin fit rapidement le bilan de leurs atouts et de leurs points faibles.

— Je passe le premier parce que je suis le moins amoché de nous tous, dit-il enfin d’un ton qui n’admettait pas de réplique.

Il referma les doigts sur la détente de son revolver, puis le rangea à regret dans son étui.

— Vous avancerez par deux. Le moins atteint des deux sera l’attaquant, l’autre le couvrira. La consigne est de capturer les chasseurs, pas de les tuer.

Il y eut un murmure de protestation.

— Je sais que ça vous déplaît, ajouta-t-il. Mais ne vous en faites pas, une fois que nous aurons interrogé ces chiens, vous en ferez ce que bon vous semblera.

Kane, Maddox et Aeron, qui lui barraient le passage vers l’étroit couloir, s’écartèrent pour lui laisser ouvrir la marche. Puis ils le suivirent, en file indienne, de leur pas léger et silencieux de guerriers. Des lampes à piles éclairaient les murs recouverts de hiéroglyphes. Le regard de Sabin balaya méthodiquement les inscriptions pour les imprimer dans son cerveau. On y voyait une longue procession de prisonniers amenés devant un bourreau qui leur arrachait le cœur et le brandissait, encore frémissant.

Des odeurs humaines d’eau de toilette, de sueur et de nourriture flottaient dans l’air vicié. Depuis combien de temps les chasseurs avaient-ils investi cet endroit ? Qu’y faisaient-ils ? Avaient-ils découvert ici un objet de pouvoir ?

Le démon de Sabin profita de ces inquiétudes pour se manifester – il ne pouvait pas s’en empêcher.

— Bien sûr qu’ils en savent plus que toi. Et ça pourrait bien mettre la victoire de leur côté, pour une fois. Toi et tes compagnons, vous êtes en train de vivre les dernières minutes de votre existence.

Crainte présentait toujours la situation de la manière la plus défavorable, mais ne mentait pas. Sabin n’avait jamais compris pourquoi le mensonge était interdit à un suppôt de l’enfer : il l’avait simplement constaté. Sans doute était-ce pour rendre plus efficaces ses pensées empoisonnées.

— Si tu cherches encore à me déstabiliser, je passe la semaine prochaine enfermé à lire dans ma chambre, menaça Sabin.

— Mais il faut bien que je me nourrisse, se plaignit Crainte.

Pour lui, « se nourrir », consistait à remplir le cœur des êtres d’inquiétude et d’angoisse.

— Tu vas avoir de quoi dans peu de temps.

— Je ne peux plus attendre.

Sabin s’arrêta net en levant la main pour faire signe à ses compagnons de cesser d’avancer. Droit devant eux, on apercevait une salle dont la porte était ouverte. Ils entendaient résonner des voix et des pas, et aussi un autre bruit évoquant le bourdonnement d’une perceuse.

Les chasseurs étaient visiblement très occupés.

— Es-tu bien certain de vouloir engager la bataille ? ironisa Crainte, qui avait déjà oublié la menace de Sabin. La dernière fois que…

— Oublie-moi un peu et occupe-toi d’eux, tu peux y aller, ordonna Sabin.

Une joyeuse exclamation résonna à l’intérieur de son crâne, puis Crainte s’en échappa pour pénétrer l’esprit des chasseurs. Déjà, il leur murmurait un chapelet de pensées plus déprimantes les unes que les autres.

— Tant d’efforts pour rien… Je ne me bats peut-être pas pour une juste cause… Je ne me sens pas assez entraîné pour affronter des guerriers immortels possédés par des démons… Ma dernière heure est sans doute arrivée…

Les conversations des humains cessèrent peu à peu. Sabin crut même entendre l’un deux gémir.

Il leva lentement un doigt, puis un deuxième. Au troisième, les Seigneurs de l’Ombre s’élancèrent comme un seul homme, en poussant un affreux cri de guerre qui se répercuta longuement sous la voûte de pierre.

Le piège des ténèbres
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